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LES DIRIGEANTS DE LA BANQUE DE FRANCE
SOUS LE CONSULAT ET L'EMPIRE


18 février 2002, la Banque de France voit ses billets privés du cours légal le jour du 202ème anniversaire du démarrage de ses activités : pur hasard ou coïncidence de l'histoire… Qui se souvient de ces financiers qui portèrent en ce début d'année 1800, la jeune banque d'émission sur les fonds baptismaux ?
De 1800 à 1815, quarante-sept banquiers, négociants, receveurs-généraux ou hauts-fonctionnaires siégèrent dans les organes de direction de la Banque de France. Longtemps étudiés comme des particules élémentaires, les dirigeants de la Banque forment un groupe homogène aux liens complexes, nommés pour que conformément au vœu des fondateurs, "l'intérêt privé et l'intérêt public concourent d'une manière prompte et puissante au succès de l'établissement."

La Banque de France au début du XIXème siècle

Papier à lettre avec l'en-tête de François Jaubert,
Gouverneur de la Banque de France de 1807 à 1814

LA DIRECTION DE LA BANQUE ET SON FONCTIONNEMENT

La rédaction des statuts primitifs de la Banque de France est l'auberge espagnole de l'histoire financière du XIXème siècle : chaque historien donne une version des faits en fonction de sa région d'origine, de ses opinions politiques, maçonniques… Certains citent Perregaux ou Périer comme étant les auteurs uniques de ce qui est sans aucun doute une œuvre collective, mais oublient que le seul "rédacteur" avéré à ce jour est le clerc de l'étude de Me Demautort, notaire qui rédigea l'acte de création de la Banque de France.

Le Conseil général

"La Banque de France sera administrée par quinze Régents et surveillée par trois Censeurs, choisis entre tous les actionnaires par l'Assemblée générale ; les Régents et les Censeurs réunis formeront le Conseil général de la Banque." (Loi du 24 Germinal An XI)
La Banque de France n'est pas une société mais une association à but lucratif et à durée indéterminée. Ce particularisme juridique prive la Banque d'une personnalité juridique. Le Conseil général forme donc un corps moral, seul responsable des engagements de la Banque. Cette non-existence juridique survit dans les différentes lois régissant la Banque : durant tout le XIXème siècle les poursuites judiciaires ne sont pas engagées au nom de la Banque de France mais au nom des Régents.
Le Conseil général de la Banque est composé du Gouverneur, des Sous-Gouverneurs, des Régents et des Censeurs. Ceux-ci sont tenus, avant d'entrer en fonctions, de justifier de la propriété de trente actions au moins ; ils doivent être résidents à Paris. Les statuts prévoient un mandat de 5 ans pour les Régents et de 3 ans pour les Censeurs. Aucune résolution ne peut être délibérée au Conseil général, sans le concours de dix votants au moins, et la présence d'un Censeur. Les arrêtés se prennent à la majorité absolue.
Composition du Conseil général de 1800 à 1814
"Réunion de quinze chefs de maisons de commerce qui ne portent à la Banque que le souci de leurs affaires propres." (Nicolas François Mollien, 1803)
Ier Sous-Gouverneur
Thibon Louis-Charles
28/04/1806
Gouverneur
Crétet Emmanuel
25/04/1806
Jaubert François
09/08/1807
Laffitte Jacques
06/04/1814
IIe Sous-Gouverneur
Rodier Jean-Baptiste
04/05/1806
Ier siège de Régent
Perregaux Jean-Frédéric
13/02/1800
Laffitte Jacques
19/01/1809
IIe siège de Régent
Lecouteux-Canteleu Jean-Barthélémy
13/02/1800
Jame Jean-Baptiste
17/10/1804
Goupy Guillaume-Louis-Isidore
27/01/1814
IIIe siège de Régent
Mallet (l'aîné) Guillaume
13/02/1800
IVe siège de Régent
Mautort Georges-Victor de
13/02/1800
Bastide Louis-Barthélémy
17/10/1800
Guitton Barthélémy
17/10/1806
Ve siège de Régent
Périer (père) Claude
13/02/1800
Desprez Médard
17/10/1801
Muguet de Varange Pierre
17/10/1806
VIe siège de Régent
Perrée Pierre-Nicolas
13/02/1800
Doyen Charles Martin
17/10/1800
Gibert (père) Guillaume-Toussaint
17/10/1806
Ducos Basile
17/10/1811
VIIe siège de Régent
Robilllard Jacques-Florent
13/02/1800
Cordier Louis
18/10/1803
VIIIe siège de Régent
Hugues-Lagarde Joseph Hugues
13/02/1800
Thibon Louis-Charles
17/10/1801
Pierlot Louis
17/10/1806
Buffaut Alphonse-Jean
17/10/1811
IXe siège de Régent
Récamier Jacques
13/02/1800
Roux Vital
17/10/1806
Xe siège de Régent
Germain Jean-Pierre
13/02/1800
Hottinguer (père) Jean-Conrad
18/10/1803
XIe siège de Régent
Carié (Bézard) Henri-Liévain
13/02/1800
Marmet (aîné) Jean-Louis
18/10/1803
Flory (père) Henry
16/10/1805
XIIe siège de Régent
Basterrèche Léon
13/02/1800
Delessert Benjamin
12/10/1802
XIIIe siège de Régent
Sévène Auguste
13/02/1800
Ollivier Augustin-Charles
17/10/1806
XIVe siège de Régent
Barrillon Alexandre
13/02/1800
Dibon Jean-Baptiste
18/10/1803
Moreau Thomas
17/10/1804
XVe siège de Régent
Ricard Georges-Antoine
13/02/1800
Davillier Jean-Charles
17/10/1801
Ier siège de Censeur
Sabatier Guillaume
16/02/1800
Martin-Puech Jean-Henry
17/10/1803
IIe siège de Censeur
Journu-Auber Bernard
13/02/1800
Robillard Jacques-Florent
17/10/1806
IIIe siège de Censeur
Soëhnée (père) Jean-Michel
13/02/1800
Martin (fils d'André) Claude-Etienne
17/10/1806
Légende :
Languedocien (d'origine ou par alliance) Actionnaire de la Caisse des Comptes Courants
Actionnaire de la Compagnie des Indes Membre des Dix Négociants Réunis
Actionnaire de la Société des mines d'Anzin Associé d'Ouvrard
Bonaparte tente de limiter l'influence des banquiers au sein du Conseil général en fixant des quotas. En 1803, sept Régents sur les quinze et les trois Censeurs sont choisis parmi les manufacturiers, fabricants et commerçants actionnaires de la Banque. En 1806, trois receveurs-généraux font leur entrée au Conseil général. Sur le papier, les banquiers n'occupent donc plus que sept sièges sur les quinze, mais la complexité de leur affaires permet à de nombreux banquiers d'être élus en tant que négociants.
Le Conseil général est "le cœur" de la Banque de France. Si la gestion courante est déléguée au Comité central puis au Gouverneur, ce sont les Régents qui sont maîtres de la "politique monétaire" en déterminant le taux de l'escompte, les sommes à employer et les échéances. La création et l'émission des billets est prise conjointement avec les Censeurs qui disposent d'un droit de veto en la matière. Le Comité central puis le Gouverneur doivent rendre compte au conseil de toutes les affaires de la Banque au moins une fois chaque semaine. Les quinze Régents et les trois Censeurs se répartissent en cinq comités pour préparer et mettre en œuvre les décisions du Conseil général, à savoir : le comité d'escompte, le comité des billets, le comité des livres et portefeuilles, le comité des caisses, le comité des relations avec le trésor public et avec les receveurs généraux.
A côté des Régents, siègent trois Censeurs chargés de "surveiller" la Banque. Ceux-ci assistent nécessairement à toutes les délibérations du Conseil général sans pouvoir prendre part au vote. Seule exception : la création ou l'émission des billets doit être formellement approuvée par les Censeurs. Pour les autres sujets, ils disposent d'une voix consultative ; si les Régents n'adoptent pas leurs propositions, les Censeurs peuvent en demander la transcription dans le registre des délibérations du Conseil général. Cette dichotomie entre les pouvoirs des Régents et des Censeurs semble calquée sur l'article 42 de la Constitution de l'an VIII : "Dans les autres actes du gouvernement, le second et le troisième consul ont voix consultative : il signent le registre de ces actes pour constater leur présence; et s'ils le veulent, ils y consignent leurs opinions; après quoi la décision du Premier consul suffit."
Les Censeurs exercent une surveillance sur toutes les opérations de la Banque. Pour cela, ils se font présenter l'état des caisses, les registres et les portefeuilles, toutes les fois qu'ils le jugent nécessaire. Ils assistent aux comités des billets et des livres et portefeuilles et nomment les membres du conseil d'escompte sur une liste de candidats présentés par le Conseil général en nombre triple de celui des membres à élire. Chaque année, les Censeurs rendent compte de leur mission à l'Assemblée générale et doivent certifier que les règles établies pour l'escompte ont été fidèlement observées.

Le Comité central

Le Comité central, institué par les statuts primitifs en 1800, est confirmé par la loi du 24 Germinal An XI. Il est composé de trois Régents nommés par le Conseil général, 2 membres et un Président ; celui-ci préside de droit le Conseil général et l'Assemblée générale des Actionnaires. En avril 1800, Lecouteulx premier Président du Comité central, porte le titre de Président de la Banque de France.
"Spécialement et privativement chargé de la direction de l'ensemble des opérations de la Banque", le Comité central se réunit autant de fois que nécessaire. Garat, directeur général de la Banque présente les affaires à traiter et exécute les décisions adoptées. Toutes les délibérations du Comité sont consignées dans un registre ; malheureusement le premier semble perdu et nous ne pouvons étudier que la période du 13 décembre 1803 au 30 avril 1806.
"Sauf à rendre compte au Conseil général" : contrairement aux obligations inscrites dans les statuts, le Comité central renvoie peu de ses décisions au Conseil général. Bon nombre de décisions importantes (escompte, avances de fonds, achats de piastres, transactions immobilières…) sont prises au sein de ce comité restreint sans que les Censeurs ne puissent accomplir leur devoir de surveillance.
En six années, seuls 10 Régents accèdent au Comité central : Barrillon (2 mois), Davillier (2 mois), Delessert (2 mois), Doyen (48 mois), Germain (16 mois), Lecouteulx (33 mois), Mallet (10 mois), Perregaux (74 mois), Récamier (2 mois) et Thibon (34 mois). Le Régent Bastide refuse sa nomination en octobre 1802, il est remplacé par Barilllon. La présidence est exercée par Lecouteulx de mars 1800 à octobre 1801, puis par Perregaux jusqu'à mai 1806. Pendant les deux premières années, le Comité central connaît un renouvellement rapide de ses membres (beaucoup ne siègent que deux mois). A partir d'octobre 1803, le triumvirat Perregaux, Doyen, Thibon préside sans interruption aux destinées de la Banque. Le 13 mai 1806, le Comité central cesse ses fonctions.
En violation des statuts, 3 suppléants sont nommés d'octobre 1803 à mai 1806 : Lecouteulx est nommé vice-président, Davillier et Delessert sont élus suppléants.

Le Gouvernement de la Banque

"Je consens à ce que le chef de la banque soit appelé gouverneur, si cela peut lui faire plaisir, car les titres ne coûtent rien." (Napoléon Bonaparte, 27 mars 1806)
Après la crise financière des Négociants Réunis, Napoléon décide de reprendre en main "sa banque" : "Je dois être le maître dans tout ce dont je me mêle, et surtout dans ce qui regarde la Banque, qui est bien plus à l'Empereur qu'à ses actionnaires, puisqu'elle bat monnaie." En mars 1806, les Régents sont sommés de se concerter avec le Conseil d'Etat sur un projet de réforme de la Banque de France. La direction de toutes les affaires, déléguée au Comité central, est désormais exercée par un Gouverneur de la Banque de France et deux suppléants appelés Sous-Gouverneurs.
Le "projet de loi sur la Banque de France" est approuvé par le Conseil d'Etat le 5 avril 1806. Le 22 avril, la loi est votée par le Corps législatif. Emmanuel Crétet est nommé Gouverneur le 25 ; suivent les nominations des Sous-Gouverneurs Thibon le 28 avril et Rodier le 4 mai. Dernier baroud d'honneur des Régents, le Comité central se réunit une dernière fois le 13 mai pour "transmettre ses attributions au premier Gouverneur de la Banque de France".
Après six années de totale indépendance, la Banque de France est régie par un statut hybride avec une direction nommée par le pouvoir politique face aux Régents et aux Censeurs élus par les actionnaires. Le Gouverneur est investi de pouvoirs très étendus : il préside le Conseil général de la Banque et tous les comités : nulle délibération ne peut être exécutée si elle n'est revêtue de sa signature ; il dispose ainsi d'un droit de veto. Il nomme tous les employés de la Banque ; signe seul, au nom de la Banque, tous traités et conventions. Il engage les poursuites judiciaires au nom des Régents. Le gouvernement de la Banque contrôle l'admission des effets à l'Escompte, mais il ne peut remettre ses propres effets.
Le Gouverneur reçoit annuellement de la Banque une somme de 60.000 francs pour honoraires ; les deux Sous-Gouverneurs perçoivent chacun 30.000 francs ; soit respectivement cent fois et cinquante fois le salaire moyen d'un ouvrier. Les honoraires des 3 Gouverneurs représentent la moitié de la masse salariale ; mais cela semble ne pas suffire car à partir de 1808, les statuts obligent la Banque de France à pourvoir "aux frais de bureau, de logement, d'ameublement et autres accessoires du gouvernement de la Banque."
Le nouveau mode de désignation n'interrompt pas pour autant la collusion entre la Banque de France et les financiers. En effet, l'obligation faite au Gouverneur de détenir cent actions de la Banque et à chacun des Sous-Gouverneurs cinquante actions (soit un cautionnement respectif de 100.000 francs et 50.000 francs), oblige le pouvoir politique à les recruter parmi la grande bourgeoisie d'affaires. Ainsi Crétet est un important armateur bordelais et ancien directeur de Cie Royale d'Assurances - Incendies ; Thibon est un négociant et financier parisien, Rodier est l'associé du banquier Delessert ; seul Jaubert dénote car il est juste l'avoué de la Banque de France.
Nota Bene : le titre de Gouverneur résulte sans doute de la vanité d'un seul homme : Emmanuel Crétet. A l'époque, les titres étaient peu prisés dans cette grande bourgeoisie baignée des idées des Lumières qui applaudissait la nuit du 4 août 1789. Ainsi, Jaubert ne fait figurer son titre de Gouverneur qu'en troisième position derrière ceux de Conseiller d'Etat et de Commandant de la Légion d'honneur. En 1808, le terme de Gouverneur n'est pas encore entré dans les mœurs. Pour preuve les différents courriers du Trésorier Général de la Couronne qui affuble Jaubert de tous les titres possibles (Directeur Général, Gouverneur général…) sauf de celui de Gouverneur de la Banque de France

Les "Directeurs Généraux"

Martin GaratEn février 1800, la Banque ne dispose d'aucun effectif. Elle intègre donc les employés de la Caisse des Comptes Courants. Les chefs principaux de la Caisse sont confirmés dans leurs fonctions. Ainsi Garat est nommé Directeur Général de la Banque de France, Devaisnes devient le Contrôleur Général et Delafontaine Caissier général.
Vial, sous-caissier chargé du remboursement des Billets, détient 231 actions de la Banque. Ainsi siège-t-il tous les ans pour les 200 plus forts actionnaires de la Banque. Audibert le Secrétaire du Conseil semble arriver dans les bagages de son beau-frère le Régent Hugues-Lagarde. Dibarrart l'archiviste n'a aucun lien avec les membres du Conseil général.

 

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19/08/06 - Emmanuel Prunaux