Cambacérès (1753-1824) Me contacter

SON CABINET D'AVOCAT


"En terminant mes fonctions législatives, je résolus de demeurer étranger aux affaires publiques et de me livrer entièrement aux travaux de ma profession. Le nombre de mes clients s'accrut rapidement. De tous les points de la République, il me vint des affaires. Les avoués de Paris, peu disposés en général à employer le ministère de ceux qui n'avaient point appartenu à l'ancien barreau, établirent des relations avec moi. Enfin les avocats plaidants recherchèrent mes avis, et mirent du prix à s'appuyer d'un nom qui commençait à faire autorité en jurisprudence.
Ces avantages tenaient à plusieurs causes. La réputation de jurisconsulte qui m'avait devancé à la Convention s'était singulièrement agrandie, en raison de la part que j'avais eu aux trois projets de code, et des divers rapports que j'avais fait à la Convention et au Conseil des Cinq-cents. Considéré comme le point intermédiaire entre la décrépitude de nos lois anciennes, et l'imperfection de la législation moderne, on pensait avec quelque raison que je connaissais les premières, et que savais mieux qu'un autre les concilier avec des décrets souvent incomplets ou mal rédigés. Je soutins assez bien une renommée acquise sans effort, que des jugements rendus en conformité avec mes avis achevèrent de consolider.
(...)
Enfin, à mon début dans la profession de jurisconsulte, j'eus soin d'annoncer que je n'entendais ni plaider, ni faire des mémoires, ni m'ériger en solliciteur d'affaires, et que tout se réduirait de ma part à donner des réponses aux questions me seraient soumises. Cette manière n'effraya personne, et n'inspira aucune jalousie. Les jeunes légistes ne virent en moi qu'un consultant de plus. Les anciens avocats s'inquiétèrent peu d'une adjonction qui ne pouvait pas leur être préjudiciable. Il étaient d'ailleurs en petit nombre, et les affaires très multipliées. Plusieurs d'entre eaux, notamment Tronchet et Ferey contractèrent des liaisons avec moi, et il se passait peu de jours qu'il n'y eût entre nous des conférences, ou étaient souvent appelés Poirier, de Bonnières, Bigot de Préameneu de Bloisin et d'autres jurisconsultes de réputation. Tronchet que je connaissais d'ancienne date que j'avais revu lors du jugement du Roi, avaient abandonné les affaires depuis l'Assemblée Constituante. Il les reprit à mon investigation, et fut ensuite satisfait d'avoir déféré à mes conseils. Les plaidoiries dirigées par nos consultations, étaient ordinairement confiées à Delamalle, Berryer, Bellart et Bonnet."
Cambacérès, Mémoires

L'ANALYSE DE SA CLIENTELE

Il est possible de reconstituer partiellement la clientèle à partir de ses livres de raison. Nous disposons de données nominatives pour seulement un tiers du chiffre d’affaires du cabinet, ce qui représente un échantillon relativement représentatif.
La prépondérance de l’armement maritime est due à la reprise de la guerre de course sous le Directoire. Les corsaires français sont autorisés à arraisonner tous les navires croisant dans les eaux anglaises et les pays neutres doivent réclamer la restitution des navires et des cargaisons indûment saisies auprès du Tribunal des prises à Paris. Cambacérès devient le conseil juridique de Keydel, représentant de la Ligue Hanséatique en France, et de l'armateur américain Hayward. On trouve également parmi sa clientèle des armateurs bordelais et malouins.

Même s'ils sont manifestement sous-estimés (voir ci-dessous), les contrats obtenus grâce à son cousin Sabatier représentent une part importante de l’activité. De nombreux négociants languedociens font également appel à ses services juridiques : Basterrèche, Cambon, Durand, Lajard… Quelques travaux sont facturés au « groupe Ouvrard », notamment à la banque Girardot & Cie et aux fournisseurs aux armées Michel. On peut également citer les banquiers Hupais, Gelot & Cie qui étaient très actifs à l'époque du Directoire et Hervas, le chargé d’affaires espagnol à Paris et directeur de la Banque Royale de Saint-Charles, la banque d’émission espagnole.

Si la clientèle de Cambacérès appartient essentiellement au monde des affaires, on trouve quelques clients venant d’autres horizons. Cambacérès s’occupe des intérêts de plusieurs familles d'Ancien régime comme les Orléans, les Choiseul-Praslin et les Arenberg. Il défend également les enfants de Malesherbes (le défenseur malheureux de Louis XVI qui a été guillotiné en 1794) et les intérêts de plusieurs communautés juives de province. Vers la fin du Directoire, quelques politiques comme Roederer apparaissent parmi la clientèle.

LES REVENUS DE SON CABINET

"Mon existence était agréable, et les produits de mon travail me mettaient en état de soutenir ma famille." (Cambacérès, Mémoires)
Mois An IV
(09/1795 - 09/1796)
An V
(09/1796 - 09/1797)
An VI
(09/1797 - 09/1798)
An VII
(09/1798 - 09/1799)
Vendémiaire 256 livres ? ? 2.104 livres
Brumaire 60 livres ? 708 livres 2.482 livres
Frimaire 210 livres ? 714 livres 2.211 livres
Nivôse 354 livres ? 918 livres 2.094 livres
Pluviôse 368 livres ? 1.520 livres 2.856 livres
Ventôse 690 livres ? 1.636 livres 2.436 livres
Germinal 1.506 livres ? 2.344 livres 3.966 livres
Floréal 1.224 livres ? 2.850 livres 1.938 livres
Prairial 2.510 livres ? 1.744 livres 1.602 livres
Messidor 1.693 livres ? 2.112 livres 2.020 livres
Thermidor 2.322 livres ? 2.920 livres 198 livres
Fructidor 3.025 livres ? 3.505 livres 0 livres
Total 14.218 livres ? 20.971 livres 23.907 livres
Ce tableau provient des livres de raison conservés aux Archives Nationales. Les revenus indiqués sont importants en comparaison au salaire annuel d'un domestique (500 livres) ou d'un ouvrier (1.000 livres environ). Mais de nombreux indices laissent penser que Cambacérès ait dissimulé une part des revenus de son cabinet.
Ainsi, la baisse des honoraires facturés à la Compagnie des Indes (An IV : 1.176 livres, An VI : 30 livres, An VII : 204 livres) est contredite par les nombreux travaux juridiques effectués par Cambacérès que l'on trouve dans les archives de la compagnie. En trois années, Cambacérès note 1.200 livres de revenus provenant de la Société des mines d'Anzin alors que la société lui verse des honoraires annuels de 2.400 livres. On remarque également la quasi-absence d'Ouvrard : aucune trace des longs travaux effectués pour la rédaction des différents contrats de fournitures aux armées (notamment les travaux sur le contrat Blanchard qui sont conservés au Japon).
Enfin, l'analyse des états de situation permet d'évaluer la fortune de Cambacérès à plus de 500.000 livres en septembre 1799. Cet enrichissement rapide ne peut pas s'expliquer avec les seuls revenus consignés dans les livres de raison. Sans doute Cambacérès a-t-il spéculé sur le cours de la rente 5 % consolidé au moment du 18 Brumaire?

27/08/06 - Emmanuel Prunaux