"Lorsqu'un historien
entreprend d'écrire la vie d'un personnage quelconque, il ne faut jamais que sa plume
soit conduite par des motifs d'intérêt, ou qu'elle soit vendue à un parti; il doit
peser, dans sa sagesse, les actions de son héros, et les tracer sans fard : il faut, en
un mot, qu'il soit peintre fidèle; que dans ses couleurs on retrouve celles de la nature
; qu'il n'embellisse point, mais qu'il représente son sujet tel que si les spectateurs
l'avaient encore sous les yeux. Je sais fort bien qu'un historien, comme un peintre, peut
se tromper dans son tableau, mais du moins il doit chercher, le plus qu'il est en son
pouvoir, à approcher de la vérité; il doit retracer comme il voit, comme il sent, comme
il juge; et si parfois il s'écarte de la vérité, on ne peut que l'accuser de ne pas
avoir bien saisi la nature sur le fait.
J'ignore si l'on me fera ce
reproche; du moins, si j'ai erré dans quelques parties de cet ouvrage, on n'y retrouvera
pas le fiel que bien des historiens de nos jours mettent dans leurs écrits : j'ai dit la
vérité, et j'ai écrit avec impartialité.
Cet ouvrage, je le pense, ne
peut manquer d'intéresser le public, sinon par la manière dont il est écrit, au moins
par l'importance du personnage, dont j'entreprends de donner l'histoire.
Il a figuré dans nos troubles
civils d'une manière assez remarquable; sous l'Empire il parvint au faîte des grandeurs,
et depuis la restauration, forcé de se tenir à l'écart, il se contenta
philosophiquement d'une fortune considérable, qu'il eut le bon esprit d'amasser pendant
sa grandeur. Souvent il pris une fausse route; mais durant le cours de son autorité on
peut lui en reprocher l'abus. Son caractère ne brilla pas par cette force de courage qui
porte celui qui en est doué à résister à tout ce qui est injuste, à rompre, à ne
jamais plier. Souvent dans nos orages politiques il louvoya et se laissa entraîner, avec
la majorité, dans des excès; mais on ne peut lui imputer aucun de ces abus de pouvoir
qui caractérisent bien souvent ceux qui le possèdent.
Sous l'Empire, il plia sous la
verge de fer du chef du gouvernement, et alla au-devant des voeux de ce dernier toutes les
fois qu'il demanda des hommes et de l'argent. Dans ces grandes circonstances, Napoléon
trouva toujours le Prince-Archichancelier disposé à lui prêter l'appui de son
éloquence; je citerai même quelques fragments des discours remarquables qu'il prononça
dans ses circonstances, et par là le lecteur sera plus à même de juger Cambacérès,
que toutes les réflexions que je pourrais faire sur lui; car c'est toujours dans les
actions que l'on doit juger les hommes.
Cambacérès a eu la meilleure
table de Paris; son cuisinier était cité avec les plus grands éloges. Nous avons vu
bien souvent , et nous voyons encore de nos jours quel usage on peut faire d'une bonne
table. En un mot, je tâcherai de rendre cet ouvrage piquant par l'exactitude des faits,
la vérité toute simple, et le récit de quelques anecdotes que je crois peu connues. Je
ne m'écarterai pas de la plus stricte impartialité, que j'ai choisi pour épigraphe.
Puissent mes efforts être couronnées de succès."