Ces deux extraits mettent en avant le rôle
joué par Cambacérès dans la nomination de l'appareil judiciaire.
"Certes, le bonhomme Blondet aurait
dû être le président du tribunal ; mais, lors de la réorganisation des tribunaux, il
fut écarté par Napoléon dont l'éloignement pour les républicains reparaissait dans
les moindres détails de son gouvernement. La qualification d'ancien Accusateur public,
inscrite en marge du nom de Blondet, fit demander par l'Empereur à Cambacérès
s'il n'y avait pas dans le pays quelque rejeton d'une vieille famille parlementaire à
mettre à sa place. Du Ronceret, dont le père avait été conseiller au Parlement, fut
donc nommé. Malgré la répugnance de l'Empereur, l'archichancelier,
dans l'intérêt de la justice, maintint Blondet juge, en disant que le vieil avocat
était un des plus forts jurisconsultes de France. Le talent du juge, ses connaissances
dans l'ancien Droit et plus tard dans la nouvelle législation eussent dû le mener fort
loin ; mais, semblable en ceci à quelques grands esprits, il méprisait prodigieusement
ses connaissances judiciaires et s'occupait presque exclusivement d'une science
étrangère à sa profession, et pour laquelle il réservait ses prétentions, son temps
et ses capacités."
Balzac Honoré de, Le cabinet des
antiques.
"De fortes études sur le droit
l'avaient si bien recommandé quand Napoléon réorganisa la justice en 1806 et 1811, que,
sur l'avis de Cambacérès, il fut inscrit un des premiers pour siéger à la Cour
impériale de Paris . Popinot n' était pas intrigant. A chaque nouvelle exigence, à
chaque nouvelle sollicitation, le ministre reculait Popinot, qui ne mit jamais les pieds
ni chez l'Archichancelier ni chez le Grand Juge. De la Cour, il fut
exporté sur les listes du Tribunal, puis repoussé jusqu'au dernier échelon par les
intrigues des gens actifs et remuants. Il fut nommé juge suppléant."
Balzac Honoré de, Interdiction.
La description de ce repas pourrait être
celle d'un dîner donné par Cambacérès à ces confrères du Jury dégustateur.
" Les cristaux répétaient les
couleurs de l'iris dans leurs reflets étoilés, les bougies traçaient des feux croisés
à l'infini, les mets placés sous des dômes d'argent aiguisaient l'appétit et la
curiosité. Les paroles furent assez rares. Les voisins se regardèrent. Le vin de Madère
circula. Puis le premier service apparut dans toute sa gloire, il aurait fait honneur à
feu Cambacérès, et Brillat-Savarin l'eût célébré. Les vins de Bordeaux et de
Bourgogne, blancs et rouges, furent servis avec une profusion royale. Cette première
partie du festin était comparable, en tout point, à l'exposition d'une tragédie
classique. Le second acte devint quelque peu bavard. Chaque convive avait bu
raisonnablement en changeant de crus suivant ses caprices, en sorte qu'au moment où l'on
emporta les restes de ce magnifique service, de tempétueuses discussions s'étaient
établies ; quelques fronts pâles rougissaient, plusieurs nez commençaient à
s'empourprer, les visages s'allumaient, les yeux pétillaient."
Balzac Honoré de, La peau de
chagrin.
L'affaire de Walcheren revue et corrigée par Balzac.
"Peyrade devait-il sa disgrâce à
l'activité miraculeuse avec laquelle il avait secondé Fouché dans la défense des
côtes de la France, attaquées par ce qu'on a, dans le temps, nommé l'expédition de
Walcheren, et dans laquelle le duc d'Otrante déploya des capacités dont s' effraya
l'Empereur? Ce fut probable dans le temps pour Fouché ; mais aujourd'hui que tout le
monde sait ce qui se passa dans ce temps au conseil des ministres convoqué par Cambacérès,
c'est une certitude. Tous foudroyés par la nouvelle de la tentative de l'Angleterre, qui rendait à
Napoléon l'expédition de Boulogne, et surpris sans le maître alors retranché dans l'
île de Lobau, où l' Europe le croyait perdu, les ministres ne savaient quel parti
prendre. L' opinion générale fut d'expédier un courrier à l'Empereur ; mais Fouché seul osa
tracer le plan de campagne qu'il mit d'ailleurs à exécution . "Agissez comme vous voudrez, lui dit Cambacérès ; mais moi qui tiens à
ma tête, j'expédie un rapport à l'Empereur." On sait quel absurde prétexte prit l'Empereur à son retour, en plein Conseil d'État,
pour disgracier son ministre et le punir d'avoir sauvé la France sans lui."
Balzac Honoré de, Splendeurs et
misères des courtisanes.
La version balzacienne de l'enlèvement du
sénateur Clément de Ris.
"Déjà Napoléon avait fait grâce
aux principaux acteurs de la grande conspiration royaliste dirigée contre lui ; mais,
quoique les quatre gentilshommes ne fussent que soupçonnés, au sortir d'une séance du
Conseil d'État, l'Empereur appela dans son cabinet le sénateur Malin, Fouché,
Talleyrand, Cambacérès, Lebrun, et Dubois le préfet de Police. "Messieurs,
dit le futur Empereur qui conservait encore son costume de Premier consul, nous avons
reçu des sieurs de Simeuse et d'Hauteserre, officiers de l'armée du prince de Condé,
une demande d'être autorisés à rentrer en France. - Ils y sont, dit Fouché. - Comme
mille autres que je rencontre dans Paris, répondit Talleyrand. - Je crois, répondit
Malin, que vous n'avez point rencontré ceux-ci, car ils sont cachés dans la forêt de
Nodesme, et s'y croient chez eux."
(...)
"Puis il mit sous les yeux de
l'Empereur une lettre qu' il avait reçue, et où ces sentiments étaient exprimés. "Ce qui est si franc doit être sincère, dit l'Empereur en regardant Lebrun et Cambacérès.
Avez-vous encore des objections? demanda-t-il à Fouché. - Dans l'intérêt de Votre Majesté, répondit le futur ministre de la Police
générale, je demande à être chargé de transmettre à ces messieurs leur radiation
quand elle sera définitivement accordée, dit-il à haute voix. - Soit", dit Napoléon en trouvant une expression soucieuse dans le visage de
Fouché. Ce petit conseil fut levé sans que cette affaire parût terminée ; mais il eut pour
résultat de mettre dans la mémoire de Napoléon une note douteuse sur les quatre
gentilshommes. M. d'Hauteserre, qui croyait au succès, avait écrit une lettre où il
annonçait cette bonne nouvelle."
(...)
"Le directeur du jury de Troyes
était un ancien lieutenant de bailliage, ancien secrétaire appointé d'un des comités
de la Convention, ami de Malin, et placé par lui. Ce magistrat, nommé Lechesneau, vrai
praticien de la vieille justice criminelle, avait, ainsi que Grévin, beaucoup aidé Malin
dans ses travaux judiciaires à la Convention. Aussi Malin le recommanda-t-il à Cambacérès, qui le nomma procureur général
en Italie. Malheureusement pour sa carrière, Lechesneau eut des liaisons avec une grande dame de
Turin, et Napoléon fut obligé de le destituer pour le soustraire à un procès
correctionnel intenté par le mari à propos de la soustraction d'un enfant
adultérin."
(...)
"Mais son désir de voir faire
prompte justice trouva un puissant véhicule dans l' incertitude qui affectait la position
de tous les magistrats de l'Empire. En ce moment, Cambacérès, en sa qualité d'archichancelier, et le grand juge
Régnier préparaient l'institution des tribunaux de première instance, des cours
impériales et de la Cour de cassation ; ils agitaient la question des costumes auxquels
Napoléon tenait tant et avec tant de raison ; ils revisaient le personnel et
recherchaient les restes des parlements abolis. Naturellement, les magistrats du département de l'Aube pensèrent que donner des
preuves de zèle dans l'affaire de l'enlèvement du comte de Gondreville, serait une
excellente recommandation."
(...)
"- Ne comprenez-vous donc pas? je
suis la comtesse de Cinq-Cygne, et je vous demande grâce", dit-elle en tombant à
genoux et lui tendant le placet rédigé par Talleyrand, apostillé par l'Impératrice,
par Cambacérès et par Malin. L'Empereur releva gracieusement la suppliante en lui
jetant un regard fin et lui dit : "Serez-vous sage enfin? Comprenez-vous ce que doit
être l'Empire français? ... - Ah! je ne comprends en ce moment que l'Empereur, dit-elle
vaincue par la bonhomie avec laquelle l'homme du destin avait dit ces paroles qui
faisaient pressentir la grâce."
(...)
"Un petit homme, froid et sévère,
quitta sa place et rejoignit ces trois hommes en disant à haute voix, devant quelqu'un de
qui je tiens le mot : "Je crains le brelan des prêtres." Il était ministre de
la Guerre. Le mot de Carnot n'inquiéta point les deux consuls qui jouaient dans le salon. Cambacérès
et Lebrun étaient alors à la merci de leurs ministres, infiniment plus forts qu'eux.
Presque tous ces hommes d'État sont morts, on ne leur doit plus rien : ils appartiennent
à l' histoire, et l'histoire de cette nuit a été terrible ; je vous la dis, parce que
moi seul la sais, parce que Louis XVIII ne l'a pas dite à la pauvre Mme de Cinq-Cygne et
qu'il est indifférent au gouvernement actuel qu'elle le sache."